L'art phénicien
L'art phénicien est connu pour être un art composite basé sur des données elles-mêmes cosmopolites. Son originalité est, loin d'être unique et novateur, celle d'un art varié, populaire et "propagandiste". Il est surtout la résultante d'un complexus d'influences dans une contrée placée au carrefour du monde antique, soumise à de multiples présences étrangères et fréquentée par des civilisations diverses.
Il a souvent été reproché aux Phéniciens leur tendance à l'imitation et la contrefaçon. Ils ont été accusés, à tort ou à raison, de copier sur leurs voisins et de manquer de créativité personnelle. Conteneau, dans son livre 'La civilisation phénicienne', divisait l'art phénicien en deux époques : "l'une qui va des origines au début du Ier millénaire av.J.C. pendant laquelle l'art phénicien paraît l'imitation et l'adaptation de celui de l'Egypte, de l'Égée et des pays étrangers à la Phénicie en général; l'autre qui comprend le Ier millénaire avant notre ère jusqu'à la fin de l'époque gréco-romaine, où l'art ne se contente plus d'imiter, mais où il coordonne, où il assimile ses emprunts pour en faire un tout homogène".
L'originalité de l'art phénicien est d'avoir adapté les diverses tendances artistiques de l'époque en les mettant au goût des commanditaires. La grande innovation est d'avoir rendu l'art plus proche du quotidien, à la portée de tout un chacun. L'art n'était plus réservé à une certaine catégorie sociale, il fut désormais un produit de masse véhiculé par les commerçants phéniciens dans toutes les régions du pourtour méditerranéen(1).
L'art phénicien ne fut pas réduit à un domaine précis il fut aussi vaste que varié : le travail du verre, de la céramique, du métal, de l'ivoire(2), la création de bijoux et accessoires de beauté, la fabrication de la pourpre, les monnaies, ... sans toutefois oublier le domaine de l'architecture et de l'art au service du divin et du sacré.
Le travail du verre
L'historien Pline racontait une anecdote évoquant la découverte du verre par les Phéniciens. Il disait qu'au sud de Tyr, un bateau phénicien fut amarré. Les marins descendirent sur la côte et se servirent de moellons de nitrate de potassium afin de protéger leur feu. Après l'opération ils s'aperçurent que le nitrate s'était dissout et amalgamé avec le sable fin de la plage. L'ensemble fut d'un effet remarquable de couleur, de forme et d'aspect. Ce fut la première révélation du verre.
L'invention du verre divise les historiens. Certains l'attribuent aux Phéniciens, d'autres aux Egyptiens en soulignant que les Phéniciens ne furent que les simples propagateurs. Mais selon les théories les plus récentes, l'industrie du verre serait d'origine mésopotamienne. De la Mésopotamie elle serait passée en Egypte pour refluer à nouveau vers les centres de la côte levantine, suivant un processus lié aux variations historiques et politiques.
Verres - Artisanat
Collier en pâte de verre, Musée du Louvre
Entre la part de la science et celle de la légende on se résume à dire que le verre fabriqué et propagé par les Phéniciens se teintait de couleurs riches et panachées épousant des formes variées suivant l'usage auquel il était destiné. Pour l'usage courant de la vie quotidienne on retrouve les coupes, les flacons et fioles à onguent tandis que pour l'usage de luxe on fabriquait les perles de verre et les pendentifs pour la bijouterie.
Si les Phéniciens se sont contentés d'assurer la continuité dans la fabrication du verre en général, ils ont été par contre les inventeurs du verre soufflé qui fut longtemps la spécialité des Sidoniens et qui s'est répandu tout au long de la route commerciale reliant, grâce aux courants marins, la Phénicie à toutes les contrées du monde antique.
Le travail de la céramique
L'étude de la céramique phénicienne n'a pas eu le même intérêt que celui dont a pu bénéficier la céramique grecque. Cela étant dû surtout à sa nature et à sa physionomie qui ne pouvaient rivaliser avec l'esthétique de la production grecque beaucoup plus attrayante.
La céramique des cités phéniciennes dérivait directement de la poterie syro-palestinienne de la fin de l'âge du bronze. Elle avait un usage multiple, domestique, commercial et funéraire. Elle était partagée en deux formes classiques, les formes ouvertes et les formes fermées.
La fonction des vases était liée à leur forme, les vases ouverts tels que les assiettes servant à la nourriture, les vases fermés, telles les amphores, pouvant être obturés, ont été destinés à la conservation ou au transport des denrées (le blé, le vin, l'huile, ...). Les cruches à boire ou à verser des liquides se distinguaient par une lèvre "coupée à angle droit". On remarque également la cruche dotée d'un long bec latéral rattaché à la panse, à la base duquel se trouve un filtre. Certains vases pouvaient avoir un usage funéraire, les amphores étaient souvent utilisées, dans les tombes, comme réceptacles à incinérations, parfois fermées par des assiettes servant de couvercle.
Les vases produits en Phénicie subissaient l'influence des modèles originaires des centres voisins (Samarie ou Chypre). On observe également la présence de vases importés ou imités, de provenance ou d'inspiration plus occidentale : de Grèce, de Sicile ou des territoires où s'étaient installés les Phéniciens, comme la Sardaigne et la péninsule ibérique.
Poteries phéniciennes
Les fabrications artisanales
Quoi de plus attrayant que les bijoux, quoi de plus léger à transporter et surtout quoi de plus rentable comme produit ? Les Phéniciens ont réalisé assez tôt l'impact de ce commerce et ils ont travaillé pour son expansion. En ce qui concerne les matériaux en usage, l'or, qui se conserve le mieux, a été le plus fréquemment exploité. L'argent était bien moins utilisé du fait de son altération avec le temps. Le bronze, les pierres précieuses ainsi que le verre furent souvent utilisés dans la composition des bijoux.
Les motifs de décoration étaient surtout inspirés du style égyptien, le plus reconnu à cette époque et le plus recherché. Une préférence était accordée aux motifs végétaux telle la fleur de lotus, la rosette ainsi que les motifs animaliers comme le scarabée, le faucon, le sphinx et le lion.
Bijoux & Accessoires Phéniciens
Parmi les bijoux caractéristiques de la production phénicienne on retrouve les boucles d'oreilles en or en forme de croissant ou du disque solaire, les bracelets, les bagues et les colliers ornés de perles en verre et de pendentifs variés.
Pour le travail du bronze et celui de l'ivoire, les Phéniciens ont excellé dans leur production, sachant que la matière première nécessaire à ces deux industries était recherchée dans les contrées lointaines. L'ivoire venait de l'Inde par la Chaldée, de l'Arabie et de l'Egypte. Pour le bronze, qui est un alliage d'étain et de cuivre, les Phéniciens cherchaient le cuivre d'Espagne et l'étain d'Angleterre, l'île de Malte et celle de Chypre servaient d'entrepôts.
Armure & poignards phéniciens décorés
La production phénicienne fut répandue dans toutes les contrées de l'époque, c'était l'art au service du beau mais également au service des échanges et un moyen d'enrichissement pour les marins-commerçants qui sillonnaient les mers à la recherche de nouveaux marchés. Ces produits étaient souvent convoités par les conquérants avides des richesses de la côte qui remplissaient leur palais de butins de guerre.
Dans un esprit motivé par le commerce et les échanges, les artisans phéniciens ont mis leur travail au service d'un art expansif et transportable d'où l'apparition de ces arts "mineurs" appelés par les Grecs "athyumata"(3). La majorité des articles produits avaient une double valeur, utilitaire et artistique.
L'industrie de la pourpre et la fabrication des textiles de grande qualité suscita l'envie et l'engouement de tous les acheteurs qui attendaient l'arrivée des navires phéniciens. Porter des vêtements couleur pourpre reste, jusqu'à nos jours, relier à une catégorie sociale privilégiée. Malheureusement, l'effet du temps ne permettant aucune conservation dans ce domaine, les seules traces qui nous sont parvenues sont réduites aux écrits des auteurs anciens. Actuellement quelques chercheurs travaillent à la reproduction de cette couleur à partir des murex en se rapprochant de la fabrication antique des Phéniciens.
L'urbanisme & l'architecture
Nous pouvons dire que la nature a été pour beaucoup dans le choix d'urbanisation chez les Phéniciens. La plupart des cités étaient construites sur des promontoires au bord d'un plan d'eau peu profond ou d'une lagune permettant à leurs bateaux d'amarrer facilement, ou sur des îlots à une faible distance de la côte. Ce type d'implantation offrait aux embarcations les meilleures conditions d'abri possibles et améliorait le système de défense puisque les promontoires représentaient des sites naturellement bien protégés pouvant recevoir une construction fortifiée, tandis que les îlots sont moins faciles à attaquer que les positionnements sur les plaines de la terre ferme.
Dame à la fenêtre
L'organisation de l'habitat phénicien au sein de la cité présentait une morphologie constante. Le noyau central était constitué d'une acropole entourée de murs avec, tout autour, des quartiers résidentiels, des édifices cultuels, des locaux destinés aux activités commerciales et industrielles.
Les sanctuaires se trouvaient, dans certains des cas, dans une partie réservée de la ville (temple d'Echmoun, Bostan ech-cheikh, à Sidon ou le temple phénicien à Tyr datant de la fin de l’époque perse) qui devenait ainsi un "quartier sacré". Les sépultures étaient également installées à l'extérieur des quartiers d'habitation. Les tombes étaient soit à fosse, soit à puits (tombes royales à Byblos) ou à dromos c'est-à-dire avec un corridor à rampe inclinée qui mène à la tombe.
Il faut savoir que les précisions dans ce domaine restent hésitantes vu que la recherche archéologique a toujours été entravée par la superposition des installations anciennes et modernes. C'est surtout grâce à la documentation archéologique des contrées voisines que les historiens ont pu reconstituer le cadre de vie des Phéniciens. Les représentations assyriennes (le relief du palais de Sennachérib) apportent les témoignages concernant les constructions privées, les fameuses maisons à étages, les portes d'entrées flanquées de colonnes et les fenêtres à balustrades.
Mais, si nous connaissons peu de chose sur l'architecture propre à la Phénicie et aux installations citadines nous ne pouvons oublier l'une des plus imposantes réalisations de l'architecture phénicienne, le Temple de Salomon à Jérusalem, qui fut édifié par des ouvriers de Tyr.
En complément à l'urbanisme et à l'architecture nous pouvons citer également les diverses constructions en pierre comme les stèles, les reliefs, les statuaires ainsi que les sarcophages (les plus célèbres sont celui d'Ahiram roi de Byblos et celui d'Echmounazor roi de Sidon) qui subirent l'influence égyptienne et, quelques siècles plus tard, l'inspiration artistique grecque.
Sarcophage du Lycien
(1) |
M. Chéhab nota dans Les Phéniciens. L'expansion phénicienne. Carthage, Gallimard, 1975, p.32 : Placé au carrefour du monde ancien, le Phénicien vit de moins en moins en isolé ; marin et commerçant, il aura des contacts de plus en plus constants avec les pays étrangers, dont son esprit vif assimilera rapidement les arts et les exprimera sans jamais pour autant en faire un copiste servile. Quelle que soit l'influence étrangère dont elles sont pénétrées, ses œuvres ont toujours porté la marque de sa personnalité. |
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(2) |
Fady Stéphan, Les Ivoires Phéniciens, 2000 ans d'art en Orient, Université St-Esprit Kaslik, Liban, 1996. |
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(3) |
Les Phéniciens, sous la direction de S. Moscati, Stock, 1997. |
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