La fabrication était présente dès l'époque cananéenne, plus qu'un artisanat, ce fut un art lié à une riche tradition artistique levantine. Les trésors trouvés à Byblos et Ougarit, datant des III° et II° millénaires, comprenaient des pectoraux et des médaillons d'or, travaillés au repoussé et au cloisonné, d'inspiration égyptienne. Les motifs décoratifs et modèles inspirés de cette période étaient répandus au cours du I° millénaire, à l'époque phénicienne(1).
Les matériaux en usage étaient assez divers. L'or, vu sa qualité de conservation, restait le plus utilisé. L'argent fut également employé, mais du fait de son altération avec le temps, les exemplaires qui nous sont parvenus sont moins nombreux. Le bronze, les pierres précieuses et le verre polychrome entraient aussi dans la composition des bijoux(2).
Les motifs dominants étaient soit d'inspiration religieuse, soit relevant des thèmes végétaux comme la fleur de lotus, la palmette, la rosette ou des thèmes animaliers tels, le scarabée, le faucon, le sphinx, le griffon, le lion, sans oublier les ornements géométriques. Les modèles les plus répandus restent les boucles d'oreilles en or en forme de croix ansée, de croissant, de sangsue, de bâtonnet allongé ou de boisseau. Suivent les bagues, avec un chaton aux angles arrondis ou rectangulaires, de la forme d'un cartouche, souvent décoré avec un style égyptisant(3).
La production se déclinait en toute sorte de créations, alliant les matières nobles comme l'or mais aussi les pierres précieuses et semi-précieuses. Les femmes en raffolaient de ces accessoires qui brillent, par leur valeur et leur originalité. Dans le chant XV de l'Odyssée, Eumée raconte son enfance dans l'île de Syria, son éducation par une gouvernante phénicienne et son enlèvement par des marchands phéniciens :
"Un messager s'en vint avertir notre femme. C'était un fin matois, qui, pour entrer chez nous, tenait un collier d'or enfilé de gros ambres. Tandis qu'en la grand'salle, ma mère vénérée et ses femmes prenaient et palpaient le collier, et le mangeaient des yeux, et débattaient le prix, l'homme, sans dire un mot, fit un signe à la fille et, d'accord, regagna le creux de son vaisseau".
Les vitrines du Musée national de Beyrouth résument cette histoire des bijoux et offrent aux visiteurs une belle collection de colliers en or, en faïence ou cornaline, des pendentifs, des bagues, bracelets et boucles d'oreilles.
L'ouest phénicien, à Carthage, Tharros ou dans la péninsule Ibérique, les artisans se sont, longtemps inspirés des modèles levantins avant d'imposer leurs propres modèles. Parmi les plus belles créations figurent des pendentifs ornés de symboles cultuels tels que les uraei ou les disques solaires à granulation, les bracelets décorés de palmettes phéniciennes et de scarabées égyptisants ou d'autres motifs porte-bonheur. Les procédés techniques – granulation, filigrane, cloisonné – sont apportés par les Phéniciens dès le IX° siècle dans l'aire grecque, en Crète, en Attique et au VII° siècle en Etrurie(4).
L'art punique(5) s'est progressivement superposé à l'art phénicien et n'a commencé à s'en distinguer qu'à partir du VII° siècle av.JC. Dès lors, le terme « punique » pouvait s'appliquer à toutes les productions artistiques de Carthage et de ses colonies, hormis les objets importés de l'Orient phénicien.
Les arts phénicien et punique ont évolué dans des contextes culturels différents. Si l'art phénicien, héritier de l'expérience artistique du II° millénaire, s'est développé depuis son origine dans son milieu oriental en contact avec diverses influences syro-palestiniennes, assyriennes et surtout égyptiennes qui constituent pour lui une source d'inspiration, l'art punique a progressé non seulement au contact de son pays d'origine, mais aussi, directement ou par l'intermédiaire des Phéniciens, au contact de l'Egypte, de l'Etrurie et surtout de la Sicile grecque jusqu'à la période hellénistique. Ces différents apports ont influencé et enrichi différemment l'art phénicien de l'art punique.
Les bijoux puniques ont généralement leur parallèle dans l'orient phénicien. Les divers types de pendentifs discoïdes à décor égyptisant, clous, boisseaux, disques solaires et croissants lunaires ont existé à la même époque dans les principaux centre de l'orfèvrerie punique, Carthage, Tharros, Cadix, Ibiza, Malte et les colonies phéniciennes de Chypre entre le VII° et VI° siècles. Les bagues à chaton mobile, avec ou sans sertissage ainsi que les bagues à chaton fixe en forme de cartouches étaient en vogue aux VII° et VI° siècles en Orient et en Occident.
A côté des canons phéniciens uniformisés au VII° siècle av.JC, les ateliers manifestaient des caractéristiques propres. Si Carthage a diffusé son style dans ses colonies, la cité de Tharros en Sardaigne s'est imposée comme un grand centre de production des bijoux en argent et s'est distinguée, entre autres, par la fabrication des scarabées de jaspe vert dont les montures étaient en or et en argent. En outre, l'orfèvrerie a connu des variantes à partir du VI° siècle, avec les pendentifs ornés du signe de Tanit à Carthage et les boucles d'oreilles de Tharros.
En plus des matériaux classiques, les Phéniciens ont excellé dans l'utilisation de la pâte de verre, particulièrement pour la fabrication des perles et pendentifs qui ont apportés originalité et révolutionnés cet artisanat de luxe.
Une des techniques les plus courantes dans l'élaboration des pendentifs à figures et des éléments de collier, était la technique dite « sur noyau de sable, ou d'argile, ou friable ». On modulait ce noyau humide suivant la forme désirée, on l'enveloppait d'un morceau de toile, on le fixait à l'extrémité d'une canne et on le plongeait dans le creuset plein de verre en fusion. Dans un second temps, on le faisait tourner sur une plaque de pierre ou de métal, de manière à obtenir une surface lisse et homogène, puis on enlevait le noyau(6).
Ce travail exigeait un certain nombre d'immersions et de retouches, on pouvait aussi s'aider en utilisant des moules. Un personnel hautement spécialisé était indispensable et de longues périodes de travail et de préparation des matières premières étaient demandées pour une technique encore plus complexe que celle de l'industrie des métaux(7).
Certains spécialistes voient, dans la pâte de verre polychrome une invention originale pour remplacer les pierres précieuses dont la recherche était souvent difficile et coûteuse. Ces bijoux originaux étaient fabriqués dans les cités mères (Byblos, Sidon, Tyr, ...) aussi bien que dans les territoires sous influence phénicienne (Carthage, Tharros, Syracuse, Ibiza).
Sur le plan de l'iconologie, on retrouve le plus souvent des têtes d'homme avec cheveux et barbes frisées, lisses ou ondulées, des têtes de femmes à cheveux torsadés. Mais aussi des têtes d'animaux (bélier, coq) ou des formes de créatures monstrueuses pour éloigner le mal ou le mauvais œil. Ajoutons à ces pendentifs à figure, les perles sphériques, les petits tubes fuselés, les perles aux filets gravés qui agrémentaient les colliers.
En observant toutes ces photos nous remarquons combien ces bijoux, intemporels, restent d'actualité. Cet artisanat inspire toujours les créateurs contemporains qui l'adaptent au goût du jour.
(1) | Habib Chamoun-Nicolàs, Négociez comme un Phénicien. Découvrez les Tradeables. ESF Editeur (traduction Claude Tournier). | Retour texte |
(2) | Cf. Giovanna Pisano, "Les bijoux in Les Phéniciens sous la direction de Sabatino Moscati". Editions Stock 1997. | Retour texte |
(3) | Ibidem. | Retour texte |
(4) | Cf. Hatmut Matthäus, "Art phénicien, art orientalisant" in La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage. Somogy Editions d’Art / IMA. | Retour texte |
(5) | "Les Puniques sont les Phéniciens d’Occident qui ont développé à partir de Carthage une civilisation originale dans une partie de l’Afrique du Nord et de la Méditerranée occidentale – Malte, Sardaigne, Sicile, Espagne – tout en consolidant et en défendant par la diplomatie et la force les intérêts de tous les Phéniciens contre les Grecs puis les Romains et en assurant la continuité des relations avec les Phéniciens d’orient". Cf. Ahmed Ferjaoui, "Art phénicien, art punique" in La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage. Somogy Editions d’Art / IMA. | Retour texte |
(6) | Cf. Maria Luisa Uberti, "le verre" in Les Phéniciens sous la direction de Sabatino Moscati. Editions Stock, 1997. | Retour texte |
(7) | Ibidem. | Retour texte |