Après la défaite des Perses à Issos en 333 av.J.C. devant les Macédoniens, les cités Phéniciennes se sont également soumises à l'autorité d'Alexandre qui, une fois de plus, était pleinement dans son rôle de chef. Il ne rencontra pas de résistance auprès des cités du Nord : Arwad, Byblos et Sidon... Toutes ont ouvert leurs portes devant ce conquérant considéré comme le sauveur après la domination opprimante des Perses, mais, quand il prétendit présenter un sacrifice au dieu phénicien Melqart dans son temple de Tyr, le roi de la ville, Azémilcos, lui en refusa l'accès. C'est que la vieille ville de Tyr, bâtie sur une petite île rocheuse, à quelque distance du rivage, se croyait imprenable.
Alexandre ne pouvait pas accepter ce refus. La Grèce n'aurait vraiment triomphé de la Phénicie que si son chef pouvait faire agréer ses hommages par le dieu de l'ennemi. Et puis, à quoi aurait servi d'occuper le littoral phénicien, si l'île de Tyr était demeurée libre et avait pu recevoir secours à tout moment des escadres de Carthage ?
Plusieurs raisons se réunissent obligeant Alexandre, à l'instar de son prédécesseur Nabuchodonosor le Babylonien, à entamer un siège de la cité de Tyr, une entreprise qui s'annonçait long, difficile et périlleuse. Une raison stratégique, afin de mettre la main sur cette île connue pour sa puissance navale et son emplacement entre terre et mer avec ses deux grands ports; Politique pour afficher sa force et sa détermination d'occuper toute la région et puis finalement, mystique (ou religieuse) dans le respect des traditions ancestrales de son pays. Le siège de Tyr contraignit les ingénieurs grecs à d'énormes travaux. Il fallait construire, sous le feu de l'ennemi, un môle qui rejoignît l'île de Tyr au rivage. Cette construction devait être accompagnée d’une force navale qui protègerait les soldats durant les travaux, elle assurerait aussi un blocus naval pour stopper le ravitaillement des habitants de l’île en nourritures, ou l’arrivée des aides militaires des différentes colonies, en particulier celles de la puissante Carthage.
Alexandre décida alors de relier l'île au rivage en construisant une digue de 600 m de long sur la distance la plus courte. Il fera appelle aux rois des autres cités phéniciennes pour mettre à sa disposition leurs flottes assurant ainsi la protection de l'édifice et le blocage maritime. Les assiégés, avides de leur indépendance ainsi que de leur liberté, démolissaient durant la nuit le travail que les Grecs accomplissaient durant le jour. Mais, la patience et la ténacité étaient les meilleures armes du conquérant macédonien.
Les premières brèches permirent aux assaillants de pénétrer dans l'enceinte rêvée. Ils furent vite massacrés. Des tridents semblables à des hameçons arrachèrent aux Grecs leurs boucliers. Les Tyriens versèrent sur les attaquants du sable chauffé à blanc et des masses de fer rougies au feu. Des trirèmes chargées de femmes, d'enfants et de vieillards partirent la nuit vers Carthage. Le siège s'éternise et les pertes sont considérables, Alexandre songea un moment à renoncer à sa folie mais son orgueil le rattrapa. L'historien Diodore (Bibliothèque Historique - Livre XVII) laissa un récit de cet événement mémorable :
"Alexandre abaissa sur le mur de la ville le pont volant de l'une des tours de bois, il la traversa seul, défiant la fortune et bravant le désespoir des Tyriens. Il ordonna aux Macédoniens de le suivre. Il se mit à leur tête, en vint aux mains avec les assiégés et les tua à coups de lance, les autres avec son épée. Il en repoussa quelques-uns, avec son bouclier et comprima l'audace de ses adversaires, tandis que le bélier, sur un autre point, renversait un pan de mur considérable.
Les Macédoniens pénétrèrent par cette ouverture à l'intérieur de la ville, en même temps la troupe d'Alexandre franchit les murs au moyen de ponts volants et s'empara de la ville. Mais les Tyriens rassemblant toutes leurs forces, se barricadent dans les rues et succombent dans cette lutte inégale. On compte plus de 7000 cadavres. Le roi vendit aux enchères les femmes et les enfants et fit prendre tous les jeunes gens au nombre d'au moins 2000. Quant aux prisonniers, il n'y en eut pas moins de 13000. Tel fut le sort des Tyriens qui, avec plus de courage que de prudence, avaient soutenu un siège de sept mois".
Seul le temple de Melqart échappa à la destruction de l'île. Le roi de Macédoine put enfin honorer, comme il le voulait, l'Héraclès phénicien. Par cette victoire importante pour Alexandre, la flotte grecque était désormais capable de mettre à mal et rivaliser avec les plus grandes flottes de l'époque, complétant ainsi la suprématie gagnée sur terre. Au mois de septembre (-332) le conquérant macédonien pouvait enfin poursuivre son chemin à destination de l'Egypte.
Illustrations tirées du livre de Pierre BRIANT, De la Grèce à l'Orient, Alexandre le Grand,
Éditions Gallimard Découvertes, Paris 1988, numéro 27.