Depuis quelques années, nous assistons sur la scène de l'échiquier mondial, à l'émergence d'une nouvelle identité, la Communauté Européenne, plus fréquemment appelée Europe.
Avec le lancement de la monnaie européenne, la Grèce a choisi de marquer l'historicité de l'événement en frappant une pièce de 2 € à l'effigie de la princesse Europe enlevée par Zeus métamorphosé en taureau. Quelques questions s'imposent : qui était cette Princesse qui avait ébloui par sa beauté le dieu suprême de l'Olympe ? D'où venait-elle ? Quelle est son histoire et son rapport avec ce continent Européen ? ...
La légende raconte qu'Europe, princesse phénicienne, fille d'Agénor(1) roi de Tyr, se promenant un jour au bord de la mer avec ses compagnes, fut remarquée par Zeus. Enflammé par sa beauté, il se métamorphosa en taureau aux cornes semblables à un croissant de lune et vint se coucher aux pieds de la jeune fille. Celle-ci d'abord effrayée, s'enhardit, caressa l'animal et s'assit sur son dos. Aussitôt le taureau se releva et s'élança vers la mer. Malgré les cris d'Europe, qui se cramponne à ses cornes, le taureau pénétra dans les flots et s'éloigne du rivage. Tous deux parvinrent ainsi jusqu'en Crète où Zeus s'unit à la jeune fille. De ces amours naîtront trois fils : Minos, Sarpédon et Rhadamante.
La suite de cette légende fut la recherche entreprise par les frères d'Europe. Agénor ordonna alors à son fils Cadmos de partir à la recherche de sa sœur, avec interdiction formelle de revenir tant qu'il ne l'a pas retrouvée. La mère de Cadmos, Téléphassa, et ses deux frères, Thassos et Cilix, l'accompagnèrent dans sa quête ; seul Phœnix resta au pays auprès de son père.
Les recherches de Téléphassa et de ses fils furent vaines. Téléphassa mourut de chagrin et ses trois fils, en raison du serment prêté à leur père, n'osèrent pas retourner à Tyr : Thassos s'installa alors dans les îles de Thrace, auxquelles il s'identifia ; Cilix se fixa en Cilicie, dont il fut le fondateur légendaire. Quant à Cadmos, il débarqua en Grèce où il interrogea l'oracle de Delphes. L'oracle lui conseilla de se laisser guider par une génisse errante, qu'il croiserait à sa sortie du temple, et de fonder une ville à l'endroit même où elle se coucherait épuisée. L'animal conduisit Cadmos au site de Thèbes, où il éleva la citadelle de Cadmée. Toujours dans l'espoir de retrouver sa soeur, Cadmos offrit aux Grecs l'alphabet inventé par les Phéniciens. Hérodote raconte le récit en ces termes :
"Pendant le séjour que firent en ce pays les Phéniciens qui avaient accompagné Cadmos, et au nombre desquels étaient les Géphyriens, ils introduirent en Grèce plusieurs connaissances et entre autres des lettres, qui étaient, à mon avis, inconnues auparavant dans ce pays. Ils les employèrent d'abord de la même manière que tous les Phéniciens. Mais dans la suite des temps, ces lettres changèrent avec la langue et prirent une autre forme. Les pays circonvoisins étant alors occupés par les Ioniens, ceux-ci adoptèrent ces lettres, dont les Phéniciens les avaient instruits, mais ils firent quelques légers changements. Ils convenaient de bonne foi et comme le voulait la justice, qu'on leur avait donné le nom de lettres phéniciennes, parce que les Phéniciens les avaient introduites en Grèce". (Hérodote, II, 58).
Cette légende d'Europe résume les réalités historiques, économiques et culturelles qui devaient correspondre aux déplacements des foyers de civilisations du Proche-Orient vers les régions d'Occident, appelées par la suite "Europe".
La "déesse au taureau" va être reprise et représentée, en sculpture, peinture(2), céramique et mosaïques jusqu'au IV°siècle(3) et cela sur tout le pourtour méditerranéen (Liban, Grèce, Italie, France, Espagne, Tunisie, Algérie, ...). Ces vestiges antiques sont actuellement préservées dans les divers musées (Musée national de Beyrouth, Musée de l'Arles et la Provence antiques, Musée archéologique de Nîmes, British Museum, Musée du Vatican, Musée du Louvre, Staatliche museen de Berlin, Musée de l'Ermitage, Musée de Palerme, à Pompéi, Musée de l'Agora à Athènes, etc.).
En 1998, La Poste française édita un timbre représentant cette légende et cela à l'occasion de l'exposition Liban, l'autre rive qui s'est tenue à L'Institut du Monde Arabe à Paris (du 27 octobre 1998 au 2 mai 1999).
Depuis 2013, la Banque Centrale Européenne a édité une nouvelle série de billets de 5€ intégrant une incrustation du portrait de la déesse, donnant naissance à la "Série Europe" qui concernera tous les billets européens. Le nouveau billet de 10€ a été mis en circulation le 23 septembre 2014. (Photo ci-contre).
Nous émettons un souhait de pouvoir un jour proposer via cette page l'historique de ces diverses représentations. Nous invitons tous les musées détenteurs d'une oeuvre représentant l'enlèvement d'Europe de nous soutenir dans cette démarche en participant à la réalisation de ce projet. Tous les articles, photos, descriptions, ... seront les bienvenus.
Nous ouvrons une dernière parenthèse dans cette page en citant l'auteur classique Achille Tatius (Livre I, 1-1 & 1-2), observant les détails de la mosaïque romaine (IIIe siècle), représentant cet évènement, trouvée sur le site archéologique de Jbeil (Byblos) et présentée actuellement au Musée National de Beyrouth :
"Le taureau avait été représenté au milieu de la mer, chevauchant les vagues (...). La jeune fille était assise au milieu de son dos, non pas à califourchon mais de côté, les deux pieds sur la droite et elle tenait les cornes de sa main gauche comme un conducteur de char tient les rênes, et, en fait, l'animal obliquait légèrement dans cette direction, obéissant à la pression de la main. Le buste de la jeune fille était recouvert d'une tunique qui lui descendait jusqu'en bas des jambes ; plus bas, une robe dissimulait la partie intérieure de son corps (...). Ses mains étaient éloignées l'une de l'autre, l'une sur les cornes du taureau, l'autre sur sa croupe, et dans l'une et l'autre, elle tenait au-dessus de sa tête une large écharpe qui voltigeait autour de ses épaules, et l'étoffe se creusait et se gonflait de toutes parts ; c'était la façon pour le peintre de représenter le vent. Ainsi la jeune fille était-elle installée sur le taureau comme un bateau en mer et son écharpe lui servait de voile".
(1) | Les cités de Tyr et de Sidon pouvaient former une unité politique suivant les forces en place. Pour cette raison nous pouvons lire suivant les références, Europe fille du roi de Tyr, ou, fille du roi de Sidon. | Retour texte |
(2) | Voir Christian de Bartillat & Alain Roba, Métamorphoses d'Europe, trente siècles d'iconographies, Editions Bartillat, 2000. | Retour texte |
(3) | Odile Wattel-de Croizant, Les mosaïques représentant le mythe d'Europe (Ier-IVe siècles), Evolution et interprétation des modèles grecs en milieu romain, Editions De Boccard, Paris, 1995. | Retour texte |