Tyr (l'actuelle Sour, du phénicien Sor désignant le rocher) est la plus méridionale des cités phéniciennes. Située à 70 Km au sud de Beyrouth, elle se trouve aujourd'hui à l'extrémité d'une presqu'île, sur un promontoire rocheux, relié à la côte libanaise par une zone sablonneuse.
Les premiers habitants des lieux ont d'abord occupé la petite île, à quelques 600 m du rivage. Au Ier millénaire Tyr était une cité bipolaire avec une île reliée, grâce à un gué (qui sera élargi lors du siège d'Alexandre le Grand en 332 av. J.C.), au rivage où s'étendaient d'autres quartiers, d'où le nom de Palétyr "Tyr-la-vieille", l'Oushou (ou Uzzu) des textes antiques.
Les premières fouilles archéologiques furent effectuées, en mars 1861, par Ernest Renan, archéologue français, qui cherchait à mieux connaître cette riche cité méticuleusement décrite par le prophète Ezéchiel. Entre 1924 et 1936, le R.P. Antoine Poidebard , aviateur et archéologue français, effectua une étude sous-marine et aérienne, une première en son genre. Les résultats de son exploration démontrèrent un complexe portuaire protégé par une barrière naturelle de récifs renforcée par des môles artificiels. Diverses fouilles suivirent, particulièrement celles menées par l'émir Maurice Chéhab, archéologue et haut-fonctionnaire libanais, mais la restitution historique du site fut difficile à élaborer du fait que les restes de la ville, en particulier les couches phéniciennes, ont été oblitérés par les occupations successives (hellénistique, romaine, byzantine, arabe, franque, ...) et par une urbanisation intensive.
Ces multiples fouilles archéologiques effectuées dans la cité et ses environs ont confirmé l'occupation du site à partir du III° millénaire, avec habitat permanent au cours de l'âge du bronze ancien. La concordance des données archéologiques avec la tradition conservée par les prêtres de Melqart - et rapportée par Hérodote - montre que la cité et le temple furent fondés autour de 2750 av.J.C.
La gloire de Tyr tenait surtout à son pouvoir maritime, la cité se présente comme la plus puissante des métropoles de Phénicie avec ses deux ports : le port "sidonien" au nord, toujours utilisé, et le port "égyptien" au sud, hors d'usage depuis l'époque byzantine.
Au XIV°siècle, d'après les lettres d'el-Amarna, le roi de Tyr, Abi-milku, demandait au pharaon de lui donner la Tyr continentale parce que lui, dans son île, manquait d'eau, de bois, de paille et d'argile, et il ajoute "il n'y a plus de place où nous puissions mettre nos morts"(1), mais, à son tour, le roitelet de Byblos se plaignait au pharaon que "le domaine de Tyr est aussi étendu que la mer".
Le principal temple de la ville, dédié à Melqart, fut érigé par Hiram Ier au X°siècle av.J.C., sur les ruines d'un temple plus ancien qui s'y trouvait. La façade était précédée de deux stèles ou colonnes, l'une d'or et l'autre d'émeraude. Il n'a pas été possible de mettre à jour ce temple fameux, mais il est probable qu'il se trouve sous la cathédrale des Croisés où les fouilles de Maurice Chéhab ont dévoilé des restes d'imposantes constructions phéniciennes. D'autres temples appartenaient à la ville : celui d'Astarté, de Baal.
Tyr fut surtout connue grâce à ses relations privilégiées avec le royaume d'Israël. Le premier Livre des Rois (Bible) relate les relations amicales au X° siècle entre le roi Hiram et Salomon à qui le premier a fourni du bois de cèdre et des artisans maçons pour la construction du temple de Jérusalem. Cette relation se consolida avec le mariage de Jézabel, la fille du roi Ittobaal de Tyr et Achab, le roi d'Israël.
L'historien Pline nota que Tyr fut connue dans l'Antiquité surtout pour son activité d'outre-mer et sa position géographique, "au milieu de la mer", invitant les poètes à la comparer à un bateau. La renommée expansionniste de la ville a été portée par deux faits marquants, appartenant plus à la légende qu'à la vérité historique. Le premier concerne la diffusion de l'alphabet par Cadmos, parti à la recherche de sa sœur la princesse Europe, fille du roi Agénor fondateur de la cité, enlevée par Zeus. Le second fait est relatif à la fondation de Carthage par la princesse Elissa (Didon dans la tradition latine), sœur du roi Pygmalion de Tyr.
Mais cet amour du large peut être également expliqué par un souci de préserver une certaine autonomie. Les Tyriens se sont opposés, à plusieurs reprises, aux plus grands envahisseurs. La position de la cité, île au milieu des flots, sa richesse maritime ainsi que l'expansion de ses marins, attiraient vers elle les envies conquérantes. Comme les autres cités phéniciennes de la côte, elle fit partie des empires successifs qui s'installèrent au cours des siècles (Egyptien, Assyrien, Babylonien, Perse, Grec, ...) mais son adhésion ne fut pas toujours pacifique. Elle résista 13 ans face à Nabuchodonosor, roi des Babyloniens. Elle s'opposa à Alexandre le Grand, qui ne put la conquérir qu'après sept mois de siège, suite à la construction d'une digue reliant l'île à la terre ferme.
Il faut enfin nous arrêter à une activité caractéristique de Tyr : l'extraction de la pourpre. Cette production était à ce point typique des Phéniciens qu'elle pourrait bien être à l'origine de leur nom (en grec, la pourpre est appelée phoinix). Côté légende, cette découverte de la pourpre est attribuée à Melqart-Héraclès. Alors que le dieu se promenait sur la plage en compagnie de la nymphe Tyros, son chien découvrit un murex et le croqua. Ses mâchoires se teintèrent de pourpre. La nymphe admira cette couleur et demanda au dieu de lui offrir un vêtement d'une aussi belle couleur. Melqart se procura de nombreux murex et fit teindre une tunique qu'il présenta à la nymphe.
De toutes les cités phéniciennes, Tyr était la plus réputée en matière de production de cette substance colorante. Celle-ci était obtenue à partir d'un coquillage marin, le murex. Ces coquillages, au début du printemps, durant la période de reproduction et avant la ponte, étaient recueillis en mer et transportés sur la rive où ils étaient disposés dans de grandes cuves. Là, les mollusques étaient écrasés pour qu'ils libèrent les pigments colorés qu'ils contenaient. Le liquide obtenu était mélangé avec du sel marin et, trois jours plus tard, transvasé dans des cuves de pierre ou de plomb. Au bout d'une dizaine de jours, la teinture remontait à la surface et était facilement prélevée. On pouvait obtenir différentes nuances de pourpre, du rouge au rose, en passant par le violet plus ou moins intense, en diluant la teinture avec de l'eau de mer ou en l'exposant aux rayons du soleil.
Cette substance, aux couleurs raffinées, servait à teindre les tissus (pièces de laine, de lin ou fines cotonnades) et les cuirs. Ces produits jouissaient d'un prestige économique international, lié aussi à l'excellence des tisseurs phéniciens. L'Ancien Testament, les Annales assyriennes et Homère témoignent chacun à leur manière du renom de la pourpre phénicienne. L'importance de cette production poussa les Tyriens à en faire l'emblème de leur cité et à l'illustrer sur les pièces de monnaie.
(1) | Gras, Rouillard & Texidor, l'Univers Phénicien, Hachette Pluriel, 1995, P56 | Retour texte |